Quand les patients « participent » à l’hôpital : enjeux et questionnements actuels
Bernard Voz, Nathan Charlier, Université de Liège
La participation des patients à l’hôpital : une longue gestation au carrefour de différentes évolutions
La participation des patients au système de santé s’est imposée au cours des dernières décennies, si pas dans les pratiques, à tout le moins comme un élément incontournable de débats.
L’implication des patients a pu être discutée, et mise en pratique, en différents lieux : dans les relations thérapeutiques qui se nouent en première ligne de soins, dans des initiatives de formation des professionnels, comme dans certains cénacles de la vie politique. L’hôpital n’échappe pas à cette évolution de la place prise par le patient.
Les caractéristiques de cette organisation méritent qu’une attention particulière soit accordée aux enjeux de participation en son sein, comme ce numéro thématique propose de le faire.
L’hôpital occupe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale une place prépondérante dans nos systèmes de santé. La médecine y a trouvé durant de nombreuses années le lieu par excellence de son hyperspécialisation et du développement d’une pratique dédiée au soin des pathologies aigües. La profession médicale exerce là sa discipline avec une grande autonomie. L’hôpital a été amené à évoluer dans un environnement à la complexité croissante et à affronter de multiples « crises » structurelles (comme le vieillissement de la population et la place croissante prise par les maladies chroniques, ou la pénurie de personnel soignant) ou ponctuelles (comme l’épidémie de sida ou de covid-19, ou la crise économique de 2008 et ses conséquences budgétaires). La question du maintien d’un soin de qualité dans ce contexte devient centrale. La participation des patients est un élément de réponse à cette interrogation. Dans les hôpitaux belges, elle émerge cependant assez tardivement, et timidement, en comparaison avec d’autres lieux du système de santé (comme la première ligne de soins).
Deux logiques a priori antagonistes sous-tendent l’émergence de l’implication patiente à l’hôpital. La première relève d’un mouvement apparenté à une forme de managérialisation de l’hôpital.
Cette organisation traditionnellement (para-)publique et conduite par des membres de la profession médicale a été amenée à s’ouvrir
à des formes de management inspirées du secteur privé. Ce courant est une filiation directe du Nouveau Management Public. Les principes d’« accountability » et de transparence y occupent une place centrale. La participation des bénéficiaires de services à l’évaluation de ceux-ci en est donc un outil, à la manière d’un client qui doit être satisfait du service rendu par une organisation commerciale.
La deuxième tient dans un mouvement de démocratisation de l’hôpital, et du système de santé en général. Là, l’ouverture du soin à des savoirs pluriels et le ré-équilibrage des relations de pouvoirs qui se nouent en santé justifient le recours à une participation accrue du patient en différents endroits. Rapidement brossées1, ces deux orientations de sens montrent que la participation des patients a pu bénéficier de soutiens et de discours divers pour émerger à l’hôpital.
Si l’intention est partagée (faire participer les patients à la gestion des hôpitaux), les finalités ne sont pas identiques. Derrière l’apparente volonté commune de participation, une compréhension fine des différents dispositifs déployés peut permettre à chacun de mieux comprendre à quoi il participe concrètement quand il s’implique. Tentons de voir comment la participation à l’hôpital varie, et ce qu’elle présente comme spécificité.
Quelles formes pour les dispositifs de participation ?
Lorsqu’il s’agit de participation des patients, la première représentation qui vient à l’esprit, qui est aussi la pratique la plus couramment répandue, relève d’une implication accrue du patient à ses soins, ou à ceux d’autrui. Dans ces cas de figures,
la place que prend le patient se situe strictement au sein d’une relation thérapeutique. L’originalité de l’implication des patients dans l’hôpital est qu’elle suppose l’invention de nouveaux rôles sociaux pour les patients. Une importante littérature sur le sujet et des tentatives de définition innombrables en découlent : patient expert, patient ressource, représentant de patients, etc. Au-delà des débats théoriques qu’un tel lexique peut provoquer,
il traduit la nécessité de situer le patient dans un processus social dont il était jusqu’à présent absent, celui de la vie institutionnelle de l’hôpital. Ce donné est lourd de conséquence pour les différentes parties prenantes. Un travail de réflexivité important est nécessaire aux personnes impliquées dans ces processus de participation, afin de définir de commun accord la différence entre ce nouveau rôle et d’autres rôles sociaux mobilisés en d’autres lieux (celui de patient, de militant associatif,
de citoyen). Ce travail doit, entre autres, permettre de saisir ce qui est attendu de cette participation, ainsi que la manière dont ces rôles nous lient aux autres individus et instances de l’hôpital.
La pluralité de dispositifs possibles, et la relative spontanéité qui caractérise leur émergence dans chaque hôpital, demande que cette réflexion soit menée de manière toujours située, dans un contexte spécifique. En effet, si la participation à l’hôpital dans ses justifications se donne à voir comme un phénomène unique, global, elle peut en réalité prendre des formes plurielles. Une première variation que l’on peut constater tient au « degré de participation » effectif atteint par un dispositif particulier. Plusieurs échelles ou continuum ont été proposés pour le saisir ; la plus classique est celle développée par Sherry Arnstein allant de la manipulation au contrôle citoyen.
La participation peut également s’envisager soit à travers l’engagement d’individus isolés, soit de collectifs préexistants. Elle varie, enfin, selon que la participation ait lieu dans des parties préexistantes de l’organigramme hospitalier, ou au sein d’entités nouvellement dédiées. La combinaison de ces différentes variables théoriques, dont la liste pourrait sans aucun doute s’élargir, permet d’imaginer une myriade de voies de participation.
La participation en pratique dans les hôpitaux de Belgique francophone : consultations ponctuelles et comités de patients
La réalité de ce qui est actuellement mis en œuvre sur notre territoire est plus restreinte. La multiplication du recours aux enquêtes de satisfaction des patients ou aux PREMS (Patient Reported Expérience Measures) pourrait être un premier type d’initiative à mentionner ici.
Si ces dispositifs ont bien pour vocation de faire exister la voix de patients au sein de l’hôpital, elle n’y est cependant représentée qu’au travers de résultats chiffrés, issus de questionnaires standardisés : cela limite fortement les possibilités d’expression – l’ouverture à une forme de pluralité de savoirs.
Arrêtons-nous sur d’autres types d’initiatives, où des individus sont directement impliqués à l’hôpital.
Des patients sont amenés à s’impliquer de manière individuelle, et la plupart du temps de façon ponctuelle, à l’hôpital. Les initiatives en la matière restent extrêmement diversifiées et situées.
Leur émergence dépend souvent de la sensibilité d’un professionnel aux enjeux de participation des patients, et des besoins de l’organisation en un moment particulier. Pour ces raisons, leur cadastre reste peu évident. Quelques exemples atteignent cependant les oreilles de chacun qui s’intéresse à la vie des hôpitaux : tel hôpital a engagé des patients dans la révision de certains itinéraires cliniques, d’autres dans la refonte de trajets de soins pour les patients à besoins spécifiques, quand tel autre service entretient des contacts rapprochés avec une association de patients.
En matière individuelle, l’initiative la plus structurée d’ouverture de l’hôpital à un savoir expérientiel émane d’un partenariat entre l’INAMI et le SPP Intégration Sociale. Depuis 2015, plusieurs institutions dans le domaine de la santé, dont quelques hôpitaux, bénéficient des services d’experts du vécu en matière de pauvreté et d’exclusion sociale4 (NDLR : voir pages 18-19).
À côté de ces initiatives, la modalité d’implication collective et durable la plus formalisée de participation des patients en Belgique francophone est celle des comités de patients.
En 2014 apparaissent les premiers comités de patients en hôpitaux de soins généraux en Belgique francophone. Ce type de comité existe outre-Atlantique depuis le début des années 2000 sous l’appellation de Patient and Family Advisory Council. Ils sont devenus obligatoires dans plusieurs États. Chez nous, malgré quelques incitants abordés plus haut, aucun cadre contraignant ne vient instituer ce type de collectif. Ces comités sont dès le départ pensés comme des organes consultatifs, installés au sein de l’hôpital pour y apporter un « regard patient » sur certains aspects de son fonctionnement, dans un objectif de qualité. Aujourd’hui, la Belgique francophone compte une dizaine de comités de patients actifs, alors que plusieurs autres germent ailleurs sur le territoire. Tous sont à l’initiative de membres du personnel hospitalier, souvent issus des directions de la qualité des institutions et sensibles aux questions d’implication des patients.
Plusieurs professionnels siègent dans ces comités : médiation hospitalière, représentation des départements médicaux, infirmiers ou psychosociaux. À ceux-ci s’ajoute le passage ponctuel de porteurs de projets venant soumettre leur travail aux commentaires des membres patients. Ceux-ci siègent généralement en nombre plus important que les professionnels ; les comités rassemblent de cinq à quinze patients attestant d’un parcours de soin au sein de l’établissement visé. Notons que, contrairement à ce qui peut se faire dans d’autres pays, les associations de patients ne sont pas forcément parties prenantes de ces comités. La majeure partie du travail des comités provient de demandes qui leur sont adressées par du personnel hospitalier. Par-delà la diversité rencontrée dans les structures (qui, combien, comment), tous les comités poursuivent cependant la mission d’améliorer la qualité, la sécurité et l’information transmise aux patients.
Des questions à trancher pour progresser
L’implication des patients à l’hôpital, en dehors de leurs relations thérapeutiques, reste pour l’heure le fait d’initiatives assez disparates, tant dans leurs formes que dans leurs contenus. Le hiatus existant entre l’intense production discursive sur la question et la réalité pratique de sa mise en œuvre, limitée, frappe tout observateur sensible à ce sujet. De ce point de vue, l’engagement des patients auprès des institutions de santé conserve tout son sens, afin d’y mener un travail de plaidoyer nécessaire pour accroître la place des patients dans ces organisations si particulières.
Le travail de plaidoyer devra cependant s’appuyer sur les expériences accumulées sur le territoire au cours des dernières années. Une réflexion sur les modalités pratiques de concrétisation de la participation doit sans doute être poursuivie : rémunération ou non des patients engagés, place dans l’organigramme, fréquence et objet des échanges entre patients et avec l’institution, modalités de travail et de décision, statut des personnes impliquées… Mais, par-delà ces questions qui peuvent sembler purement pratiques, s’impose un effort de réflexivité majeur quant à ce à quoi les patients ont été effectivement amenés à prendre part jusqu’à présent dans différents hôpitaux. Si, comme c’est écrit plus haut, la participation est a priori la voie médiane de plusieurs logiques (managériale et démocratique), cet a priori pourrait ne résister que peu à l’analyse. Les dispositifs actuels ont-ils impliqué les individus en tant qu’usagers indifférenciés, ou en tant que patients singuliers, détenteurs d’un savoir particulier ? De quoi peut-on effectivement discuter au sein de ces dispositifs de participation, et qui peut en définir les compétences ? À quelles conditions les savoirs et les points de vue des patients sont-ils, ou non, pris au sérieux par l’hôpital ? Les dispositifs ont-ils effectivement permis une forme de démocratisation, de rééquilibrage d’inégalités épistémiques entre professionnels et profanes ? Ou n’ont-ils servi que l’efficacité d’une organisation en quête de sécurité et d’accessibilité ? Maintenant que la participation s’est, presque, imposée comme un outil, il reste à lutter pour son bon usage.
Le cas français
Nos voisins disposent au sein des établissements de santé d’un dispositif de participation proche de nos comités de patients : les commissions des usagers. Elles diffèrent cependant sur quelques points, et offrent un point de comparaison stimulant pour penser nos propres manières de faire.
Les commissions des usagers sont des organes obligatoires, depuis 20056. Chaque hôpital doit en installer une en son sein. Les personnes qui la composent sont des représentants des « usagers », dont le statut est prévu dans la loi. Ces représentants ne doivent pas nécessairement avoir été patient dans l’hôpital où ils interviennent. Ils doivent en revanche être agréés par France Assos Santé et être désignés par leur Agence Régionale de Santé. Une partie des missions qui leur incombent entretient des similitudes avec le travail de nos comités ; ces commissions doivent œuvrer à la qualité de l’accueil et de la prise en charge. À côté de cela, elles jouent un rôle important dans la médiation des conflits ou des réclamations que portent des patients envers l’hôpital. Les représentants peuvent y jouer un rôle direct dans l’accompagnement des patients dans leurs démarches de conciliation.