L’annonce aux parents d’un diagnostic de déficience chez l’enfant

L’art d’annoncer autrement un handicap

Caroline de Bovis
Développeur de Projets
Plateforme Annonce Handicap

L’annonce du handicap d’un enfant est le plus souvent vécue par les parents comme un moment charnière particulièrement douloureux. Il y a un « avant » et un « après ».

L’annonce d’une mauvaise nouvelle
Lorsqu’un médecin annonce un handicap (même s’il est plus juste de parler de déficience, le terme handicap est utilisé par tous. Le handicap est la conséquence d’une lésion qui provient d’une déficience et qui va entrainer une incapacité), il annonce une mauvaise nouvelle qui va modifier profondément et de manière péjorative l’avenir d’une personne et d’une famille. C’est aussi, comme le disait Nicole Alby, psychologue qui a consacré sa carrière aux malades atteints de cancer « ce qu’un médecin n’a pas envie de dire à quelqu’un qui n’a pas envie d’entendre ». Il s’agit d’un moment de souffrance pour les parents qui reçoivent le diagnostic de leur enfant et dont la vie bascule. Il s’agit aussi d’un moment difficile pour le médecin, surtout s’il a tissé des liens de respect, de confiance, voire de solidarité avec les parents car il sait que cette annonce va leur faire mal et qu’elle va laisser des « cicatrices ».
Cette annonce est souvent ressentie avec violence par les parents, une violence se doublant de brutalité lorsqu’elle est faite de manière maladroite par le médecin.
Une mauvaise nouvelle n’est pas annoncée une fois pour toutes : l’annonce est réactivée par des facteurs médicaux qui sont liés à l’évolution de la déficience mais aussi par des facteurs sociaux comme les réactions du monde extérieur, le regard des autres, l’inadaptation de la société qui génère des obstacles à une vie « normale » (par exemple l’absence de rampe d’accès dans une salle de cinéma), un changement d’école pour son enfant…
Ces réactivations d’annonce tout au long de la vie peuvent être certaines fois plus dévastatrices que l’annonce initiale.
L’annonce du handicap – ou d’une maladie grave – est la situation par excellence où la solitude du médecin peut l’amener à s’isoler, se retrancher derrière des compétences médicales, sa prise en charge de la déficience ou de la maladie en négligeant l’accompagnement du patient et des familles en souffrance. Et si le médecin n’a pas été formé ou a peu été formé à l’annonce d’un diagnostic de déficience ou d’une mauvaise nouvelle médicale, il risque d’être maladroit dans son annonce.
Les médecins ne mesurent pas toujours le choc et l’étendue émotionnelle des parents. Beaucoup ignorent par exemple l’état de sidération qui est un état psychologique qui survient très fréquemment lors d’une information violente et qui fait que la personne devient incapable d’entendre la suite des informations. Il est essentiel pour le professionnel de santé de connaître cette situation pour ne pas la confondre avec le déni mais aussi pour reposer le diagnostic, un fois le choc passé, sinon le risque est de voir des parents repartir chez eux sans avoir compris et sans les outils pour prendre en charge de manière pertinente la déficience de leur enfant.
C’est en partant de ces constats que la Plateforme Annonce Handicap (PAH) a été créée en 2008 afin d’améliorer les conditions de l’annonce pour permettre un meilleur accompagnement des personnes en situation de handicap et de leur famille et aider le professionnel à « mieux vivre » ce moment d’annonce, même si cette annonce restera toujours une mauvaise nouvelle.
La particularité et l’originalité de la PAH est qu’elle regroupe en son sein plus de trente-cinq associations du secteur et qu’elle mène ses actions sur base d’un travail conjoint de parents et de professionnels. Depuis un peu plus de quinze ans, l’association développe des outils de soutien (livrets pour les professionnels, les parents, les fratries, les personnes handicapées) et propose des séances de formation/sensibilisation aux professionnels et futurs professionnels de la santé (sensibilisations dans les facultés de médecine, les Hautes Écoles, dans les Groupes Locaux d’Évaluation Médicale, etc.).
Abordons plus en détail certains points de l’annonce du handicap.

La sidération et l’incandescence des parents
Au-moment de l’annonce du diagnostic de déficience, le choc de la mauvaise nouvelle est tel qu’il va entrainer un état de sidération chez 80 % des parents : le temps s’arrête, le cerveau se met en mode veille pour ne plus souffrir, les sentiments sont anesthésiés… impossible d’écouter davantage, les parents sont déconnectés de ce qui se passe tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’eux-mêmes… silence pesant qui risque de mettre le professionnel mal à l’aise ou de l’inciter à continuer à parler alors que les parents n’entendent plus.
Cette annonce peut être vécue comme la fin du monde, un séisme, une bombe, un tsunami, un trou noir, un arrêt sur image. Un père témoigne

« j’allais être l’homme le plus heureux du monde, avec le plus beau bébé du monde et je me suis retrouvé sur un ring, le médecin avait des gants en face de moi. Il a frappé. J’étais K.O., en sang, en sueur. Quand j’ai repris mes esprits, il y avait Pierre qui criait.
– Des mots pour le dire, 2ème édition, Plateforme Annonce Handicap, Livret à l’attention de parents d’enfants en situation de handicap, p. 27

20 % des parents sont dans le mécanisme de survie opposé à savoir l’incandescence : un emballement de l’esprit, une confusion, une hyper-attention, une surexcitation, une hyper-perception, une hypersensibilité. Le résultat est le même, à savoir que les parents n’écoutent plus le médecin. Pour Line Petit, psychologue

Ca fait comme un blocage, un peu comme dans une maison, si vous allumez toutes vos lumières et si votre compteur n’a pas la puissance nécessaire, c’est le noir. Eh bien, c’est pareil : il y a une incapacité à penser et les parents vont s’obstiner à rester sur une phrase. On aura beau leur expliquer plein de choses, ils n’entendront pas.
– Accompagner l’annonce d’un diagnostic, 4ème édition, Plateforme Annonce Handicap, Livret à l’attention des professionnels, p. 33

Dans les secondes qui suivent l’annonce, les parents vont connaître une dépression/un vide d’air , un « ressac » car cette annonce est synonyme de pertes multiples, de portes qui se ferment, de douleurs intenses.

Les réalités et conséquences de l’annonce pour les parents
Après la sidération ou l’incandescence, les parents vont connaître des émotions variées, parfois contradictoires et ambivalentes (colère, honte, anxiété, tristesse, culpabilité, solitude, révolte, blessure narcissique, soulagement après une longue période d’attente de diagnostic…) ; des émotions tellement variées que l’on parle de tempête émotionnelle.

Jean-Marc, un papa témoigne :

Toutes sortes de sentiments nous interpellent et s’entremêlent : amour, chagrin, espoir et désespoir… La consternation des premiers instants laissera la place à une grande souffrance.
– Des mots pour le dire, 2ème édition, Plateforme Annonce Handicap, Livret à l’attention des parents d’enfants en situation de handicap, p. 28

Au-delà du diagnostic de déficience, les parents reçoivent l’annonce que leur vie ne sera plus jamais la même. Ils apprennent que leur enfant présente une déficience, avec toute l’inquiétude et la culpabilité que cela peut susciter. Ils réalisent en même temps que plus rien ne sera comme avant :
il y a un avant souvent idéalisé, un présent noyé dans le brouillard et un avenir incertain ou balayé. Pour pouvoir en sortir, les parents vont devoir passer du pourquoi culpabilisant au pour quoi, vers quel chemin. 9.

On peut mettre pourquoi dans un seul mot, l’origine. On peut aussi détacher les deux mots : pour quoi ?. ça va nous permettre de les aider à évoluer du pourquoi causal vers le pour quoi du sens, vers quel sens ? Quel sens vais-je donner à cette histoire » Line Petit, psychologue
– Accompagner l’annonce d’un diagnostic, 4ème édition, Plateforme Annonce Handicap, Livret à l’attention des professionnels, p. 24

Des responsabilités nouvelles, imprévues, lourdes s’imposent à eux. Leur identité, leur vie sociale, leur organisation quotidienne, tout est remis en question.
Pour se préserver d’une réalité qu’ils ne peuvent entendre, des mécanismes de protection se mettent en place chez les parents, souvent de manière inconsciente, qui agissent comme des amortisseurs indispensables pour leur permettre de se ménager un temps de latence essentiel pour affronter le réel : le déni, la projection agressive, le déplacement, la maîtrise, l’isolation.
Ils ont leurs propres représentations par rapport à l’avenir que la société réserve aux personnes présentant une déficience. Ils ont aussi leurs croyances et leurs valeurs. Et comme ils sont deux, ils n’ont pas forcément les mêmes (pré)conceptions. L’accordage entre parents dans ces circonstances particulièrement chargées d’émotions difficiles, peut prendre du temps avant de pouvoir investir l’enfant en tant que couple parental et regarder ensemble dans la même direction afin d’entrer en résilience et construire un nouveau projet de vie.

Les réalités pour le professionnel qui annonce
Du côté du professionnel, l’annonce d’un diagnostic de déficience est un moment stressant et peut éveiller chez lui des peurs : la peur des réactions des parents, la peur d’être confronté à ses propres émotions et représentations, la peur de ne pas être à la hauteur. C’est aussi un moment difficile car dans certaines circonstances, il devra passer rapidement de la satisfaction du diagnostic posé à la blessure de l’annonce, surtout si la déficience est sévère ou si la maladie est grave.
Le professionnel a ses propres représentations de la déficience qu’il a diagnostiquée et de ses conséquences sur la qualité de vie de son patient et de son entourage. Ses expériences personnelles et professionnelles, ses croyances et ses valeurs l’influencent (en partie à son insu) dans le message qu’il adressera aux parents. Il annonce en fait une déficience mais également un éventuel handicap. Son annonce sera plus ou moins optimiste, selon qu’il estime que la société offre ou non de bonnes possibilités d’accueil aux personnes présentant cette déficience, selon qu’il croie ou non qu’une personne atteinte d’une déficience peut malgré tout vivre heureuse.
Il a ses propres émotions qui peuvent être variées : tristesse, échec, désarroi, malaise, empathie, pitié, culpabilité, solitude, inquiétude, impuissance… Il peut en effet se sentir impuissant face à une situation figée ou dégénérative, ou incompétent dans le cas de maladies rares.
Sans faire de généralités, le professionnel aurait tendance à minimiser la charge de ses émotions lors de l’annonce au risque de paraître superficiel, de brusquer la réaction des parents et d’adopter des mécanismes de protection comme la fuite en avant, la banalisation ou l’évitement. Il peut aussi avoir besoin de temps pour apprivoiser la situation et mettre en place d’autres mécanismes de protection comme l’identification projective, la fausse réassurance ou le mensonge, au risque de retarder l’accompagnement de l’enfant.
Pour mieux accompagner les émotions des parents, il est important que le professionnel soit en contact avec ses propres émotions et représentations car elles vont guider son comportement. Ceci n’est pas toujours facile, surtout lorsque le soignant n’a pas l’occasion d’en parler en équipe ou avec d’autres confrères ou consœurs. Mais rester en surface, c’est prendre le risque de se couper de ses propres émotions ou de laisser grandir en soi un malaise pernicieux et le transmettre aux parents.
Après l’annonce, il peut-être souhaitable que le professionnel puisse partager son vécu et son ressenti avec un collègue ou un psychologue qui pourrait assurer un soutien, ce qui implique d’avoir recherché au préalable cette personne ressource.

Après avoir annoncé un handicap ou une grave maladie, je passe une mauvaise nuit, et j’en parle dans ma famille. J’en discute aussi avec les collègues et l’équipe. Ces habitudes de réflexion autour d’un café servent à passer le relais après une garde, mais nous avons également besoin de partager ce qui nous a touchés.
– Témoignage d’un chef de service de pédiatrie générale et de néonatologie – Accompagner l’annonce d’un diagnostic, 4ème édition, Plateforme Annonce Handicap, Livret à l’attention des professionnels, p. 22

Les attentes des parents et les réponses du professionnel
Les parents à qui on annonce un diagnostic de déficience chez un enfant ont quatre besoins fondamentaux : le besoin d’être informés (recevoir une information claire, cohérente, loyale et adaptée comme l’exige la loi de 2002 sur le droit des patients), le besoin d’être écoutés, le besoin d’être reconnus et le besoin d’être accompagnés.
Même s’il ne peut éviter aux parents le traumatisme que constitue l’annonce d’une déficience chez leur enfant, il est important que le professionnel en charge de l’annonce veille à ce que les meilleures conditions possibles soient réunies pour répondre aux attentes des parents.
L’utilisation par le professionnel d’un vocabulaire simple, de phrases courtes et d’outils pédagogiques est fortement recommandée ainsi que de parler lentement, de faire des pauses, de décoder le message derrière une question d’un parent et surtout d’éviter tout conseil, interprétation ou jugement. Même s’il tente de se montrer objectif dans les informations qu’il communique et qu’il choisit avec soin les mots qu’il utilise, le ton de sa voix, sa posture, son regard et sa gestuelle donnent aux parents des informations officieuses d’une grande puissance émotionnelle. Et ces informations non verbales agissent comme des indicateurs de bienveillance.
Il doit aussi faire preuve de tact dans l’information, choisir d’écouter les parents avec bienveillance (écouter, ce n’est pas uniquement entendre mais c’est aussi reconnaître la souffrance des parents et accorder du crédit à ce qu’ils sont en train de vivre), faire preuve d’humanité et d’humilité dans un accompagnement empathique tout en gardant la bonne distance qui lui permettra de rejoindre les parents dans leur vécu avec efficacité sans entrer en résonnance émotionnelle avec eux.
Il s’agit donc pour lui de conjuguer un savoir-faire et un savoir-être afin de trouver un juste équilibre entre la communication d’un savoir et l’accompagnement d’une souffrance, être à la fois le docteur qui maîtrise des connaissances et des actes diagnostiques et thérapeutiques (doctus = celui qui sait) et le médecin qui accompagne (medicare = prendre soin). C’est seulement à ces conditions qu’il pourra aborder la rencontre avec les parents et soigner l’annonce pour qu’elle se transforme en accompagnement.

L’art d’annoncer autrement un handicap : une qualité de présence
En guise de conclusion, pour que les parents ne se sentent pas seuls dans ce moment charnière et particulièrement douloureux de l’annonce, il faut qu’ils ressentent combien le professionnel et les soignants sont à leurs côtés, ce qui implique une qualité de présence. Le professionnel doit se préparer à cette rencontre avec les parents en osant se confronter à son vécu, accompagner la détresse des parents, dire verbalement « je suis à vos côtés » et adopter une posture non-verbale qui leur confirme, et veiller ensuite au suivi. Cette attitude globale de la part des soignants, développée grâce aux outils et sensibilisations de la PAH, va encourager la confiance des parents/des patients vis-à-vis du corps médical dont ils auront besoin, et permettre, grâce à la reconnaissance de leurs émotions, de les canaliser vers le chemin de résilience.
Pour le philosophe, Christophe André

Quand un médecin soigne une maladie, il ne fait que la moitié du chemin, s’il n’accompagne pas l’homme en souffrance (…). Ce que l’on perd dans la capacité à changer la condition et la souffrance d’autrui doit être transféré dans l’intensification de la présence ».
– Trois amis en quête de sagesse, Christophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard

Ceci est d’autant plus vrai pour l’annonce d’un handicap.

Plateforme Annonce Handicap
15 E Place de la Vaillance
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0472 12 49 35 – bureaupah@hotmail.com
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